Publié le 10 juin 2022 Mis à jour le 10 juin 2022

Un texte de la Minute Recherche par Sophie Chiari (MSH et IHRIM, unité mixte de recherche CNRS / Université Clermont Auvergne / ENS Lyon / Université Jean Moulin Lyon 3 / Université Lyon 2 ).

Les recherches consacrées à la littérature environnementale du monde anglophone se sont jusque-là essentiellement concentrées sur le Romantisme anglais et le transcendantalisme américain. Or la nature, dans le théâtre de Shakespeare, mérite à plusieurs titres d’être mise en lumière. Il serait faux de croire que les contemporains du dramaturge étaient adeptes d’une sorte de culte de la vie sauvage : bien au contraire, la nature ne leur semble fertile et protectrice que lorsqu’elle est travaillée. L’agriculture sert en effet à jeter un pont entre nature et culture et à rendre bénéfique un univers jugé hostile. Les « grands arbres », pour les Élisabéthains, servent avant tout à « abrite[r] des chaleurs le troupeau » (Shakespeare, Sonnet 12). On est donc loin de vouloir préserver les parcelles en friche de l’intervention humaine.

Parce que les arbres sont alors sévèrement menacés par l’extraction croissante de minerai, par l’industrie du verre, et par l’essor de la marine anglaise qui était une très grande consommatrice de bois de charpente, on prend peu à peu conscience de leur dégradation et de la nécessité de leur préservation. Dans Comme il vous plaira, Jaques reproche ainsi au jeune Orlando de graver des poèmes sur les troncs d’arbres d’une forêt qu’il convient de protéger.

De manière significative, l’intrigue de nombreuses pièces se déroule entièrement en plein air. Le songe d’une nuit d’été contient l’une des plus célèbres tirades dévolues aux catastrophes naturelles, prononcée dans le deuxième acte par Titania, la fée qui règne sur la forêt d’Athènes, et qui se lamente de la violence du vent, des « brumes pestilentielles » et des inondations qui ravagent le monde.

Shakespeare fait non seulement écho aux conditions climatiques catastrophiques du mitan des années 1590 en réécrivant le mythe biblique du Déluge, mais il se démarque aussi du déterminisme climatique qui, en cette fin de siècle, continuait d’imprégner de nombreux textes élisabéthains, pour mettre en avant la notion de libre arbitre : il ne tiendrait qu’à nous de limiter les dérèglements climatiques en vivant en harmonie avec le monde qui nous entoure.

L’œuvre de Shakespeare met donc en mots et en scène l’émergence d’une conscience écologique au moment même où l’impact de l’homme sur la nature commence à se faire réellement sentir. D’ailleurs, une loi sur la préservation des forêts (« Act for the Preservation of Woods ») voit le jour dès 1543, et c’est là l’une des toutes premières actions en faveur de la protection de l’environnement en Angleterre.

Pour en savoir plus
  • Vidéo du symposium “Shakespeare and Climate Emergency”, en partenariat avec le théâtre du Globe : https://earthshakes.ucmerced.edu/globe4globe-videos
  • Jones -Davies, Marie-Thérèse (éd.). Le monde vert : rites et renouveau. Actes du Congrès de la Société Française Shakespeare, n° 13, 1995. URL : https://journals.openedition.org/shakespeare/172
  • Chiari, Sophie. “Shakespeare et la forêt”, L’avant-scène théâtre, 15 décembre 2021, n° 1513-1514, p. 80-82.
  • Scott, Charlotte. Shakespeare's Nature: From Cultivation to Culture. Oxford, Oxford University Press, 2014