Publié le 25 septembre 2020 Mis à jour le 25 septembre 2020

Un texte de la Minute Recherche par Simone Bertoli (CERDI - UMR UCA / CNRS).

Qui sont les migrants internationaux et quelles sont les conséquences économiques de leurs migrations sur les membres de leurs ménages d’origine ?

Répondre à ces questions, nécessite la collecte de données auprès de ménages dans les pays d’origine des migrants. Les campagnes de recensement régulières sont une bonne opportunité de collecter ces données, mais les questions posées peuvent induire des biais dans l’analyse de ces données. Voici par exemple, une des questions utilisées lors du recensement de la population mexicaine de 2000 : « Au cours des cinq dernières années, c'est-à-dire de janvier 1995 à aujourd'hui, une personne qui vit ou a vécu avec vous (dans ce ménage) est-elle partie vivre dans un autre pays ? ». Cette question est basée sur l’hypothèse que « la structure des ménages [soit] une caractéristique fixe ou exogène » [1](Foster et Rosenzweig 2002) ".

Nous pouvons remarquer ici que la question porte uniquement sur les individus qui faisaient partie du ménage participant à l’enquête au moment de quitter le Mexique. Donc, c’est seulement si la condition de cohabitation (au moment de la migration) est satisfaite, que l’enquêteur va recueillir les informations concernant le migrant.
Or, dans le cas du Mexique, la littérature anthropologique suggère que les femmes laissées seules avec leurs enfants par leur mari partent souvent vivre chez leurs parents ou leurs beaux-parents (Boehm, 2012). Dans ce cas, l’épisode de migration ne sera pas signalé, car le ménage dont le migrant était membre n’existe plus, et que le migrant n’appartient pas non plus au ménage rejoint par sa femme et ses enfants.

Notre étude s'appuie sur des données de panel provenant d'une enquête mexicaine (la Encuesta Nacional de Ocupaciòn y Empleo) qui permet d'identifier les épisodes de migration à partir des changements dans la composition des ménages enquêtés. Notre analyse révèle que les ménages enregistrant un épisode de migration sont les plus susceptibles de recevoir de nouveaux membres. Cela montre qu'une analyse empirique des effets de la migration sur les non migrants peut confondre l'effet direct d'intérêt (par exemple, la participation au marché du travail des membres non migrants) avec celui dû à la variation de la composition du ménage. De surcroît, ces ménages ont une probabilité plus élevée de disparaitre de l’échantillonnage ; montrant ainsi que les questions utilisées lors des recensements qui intègrent une condition de cohabitation peuvent ne pas capter une partie (potentiellement importante) des épisodes de migration.

L'analyse des données du recensement de la population mexicaine de 2000 révèle que c'est effectivement le cas. Lorsque nous nous concentrons sur un groupe de femmes dont le mari a très probablement quitté le Mexique (des femmes mariées, dont le conjoint n'est pas membre de leur ménage mais qui déclarent recevoir directement des transferts de fonds depuis l'étranger), nous observons que les femmes qui n’ont pas rejoint un autre ménage après la migration de leur mari sont deux fois plus susceptibles de déclarer la présence de leur mari sous le même toit que celles qui ont rejoint un autre ménage (parents ou beaux-parents).
Ainsi, la collecte de données sur les origines n'est pas seulement exposée aux risques de migration de l'ensemble du ménage (Ibarraran et Lubotsky, 2007) ou aux fausses déclarations délibérées (Hamilton et Savinar, 2015), mais aussi au biais introduit par la condition de cohabitation utilisée dans les enquêtes dans la composition des ménages.
Des analyses en cours sur le recensement de 2010 de la population mexicaine nous permettront de mieux saisir ce phénomène, et d’envisager des options pour intégrer dans l’analyse empirique cette reconfiguration endogène des ménages.


[1] Soit on fait l’hypothèse que la structure des ménages est fixe, donc constante dans le temps, soit on fait (au moins) l’hypothèse qu’elle soit exogène par rapport au phénomène qui est étudié (donc, avec des variations qui ne sont pas corrélé au phénomène [dans notre cas, des épisodes de migration] qui fait l’objet de l’analyse.